Darne contre Charlin !

Voici quelques mois, nous avions parlé ici du démontage et de la valeur des fusils Darne, ces jolis fusils typiques "du grand-père" qui, en sus de leur valeur sentimentale sont de véritables chefs d'oeuvre de l'armurerie stéphanoise. Ces fusils furent à peu près contemporains, Darne a produit ses juxtaposés de 1897 à 1965, et la production d'ailleurs existe toujours du fait du rechat du nom en 2013 par un groupe financier soutenant la Société nouvelle des armes Darne, dirigée par Hervé Bruchet. Mais il s'agit d'armes de luxe avec les prix correspondants.

Charlin, établi armurier en 1878 a produit selon le même concept des armes fixes à culasse coulissante, de 1904 à 1972. Tous deux passèrent un moment, dans les années soixante à 80 à la production de quelques juxtaposés, mais qui jamais, ne parvinrent à éclipser ces fusils si caractéristiques. 

Les uns et les autres partaient du principe que les blocs basculants, à l'usage, prenaient de l'usure et du jeu. Si ces deux fusils se ressemblent beaucoup au point d'être souvent confondus, ils sont mécaniquement très différents. Le Charlin possède une mécanique beaucoup plus sophistiquée avec une tête de culasse à recouvrement, fonctionnant sur roulements à billes et non démontable sans outil spécifique. Contrairement au Darne dont nous avions publié un petit tutoriel de démontage, on ne peut que conseiller d'aller à la rencontre d'un armurier pour toute réparation ou remise en état. Ses canons mi-bloc (et non frettés comme sur le Darne) venaient de chez le réputé Jean Breuil, son fonctionnement doux et onctueux du fait d'une culasse mieux guidée, un peu plus lourd, mais mieux équilibré que le Darne. Les bois étaient de meilleure qualité du fait d'une production en plus petite quantité. Il était aussi plus cher, moins diffusé car par des agents exclusifs (500 armuriers en France en 1965...on croit rêver !), et à des prix imposés à moindres marges. 

Si la nomenclature des Darne est fort touffue, mais maintenant bien débroussaillée par les historiens, celle de Charlin est encore beaucoup plus difficile à saisir. Les séries montaient de A à K (cette dernière spécifique au tir aux pigeons vivants), sauf I et J, avec des pictogrammes énigmatiques : chiens, lièvres, hirondelles, têtes de tigre, étoiles, qui montant de rien à 8 correspondaient à différents niveaux de finition : chokage des canons, qualité des bois, types de crosses. Pour faire simple, si vous avez un "8 hirondelles" c'est un haut de gamme dont le prix, selon état bien sûr, peut aller en occasion jusqu'à 2500 euros ! Attention néanmoins à l'emploi, les premiers chambrés à 70 datent que de 1950, mais les grandes marques (Vouzelaud, Tunet, Fob entre autres) font encore de la 65 bien suffisante pour ces fusils réputés "serrer" fort, et au recul disons "viril" si on tire au débotté, sans trop bien épauler. Il s'agissait de fusils hyper légers, aux crosses anglaises souvent très fines avec lesquelles nos anciens prenaient le soin de prendre calmement la visée, et de "mettre devant" pour faire bouler proprement le capucin. Certes ils ne se "cassaient' pas en deux, mais on prenait vite le coup de charger et d'amener la clef à mi basculé. Le lièvre partant, le pouce abaissait instinctivement la clef (petite au début, grande ensuite comme sur les "grands" Darne des séries P et V), ce qui donnait le temps de bien prendre la visée. 

Surveillez bien le Net, les ventes, les successions, la "belle occase" peut vous tendre les bras, car non seulement il y a peu de "vrais" connaisseurs de ces pourtant grandes marques emblématiques de la grande armurerie française, mais en plus, la crise aidant, ils sont souvent bradés bien en deça de leur vrai prix. C'est bientôt Noël, l'hiver, le temps d'aller seul à l'affût avec un beau fusil historique "qui pique", idéal pour la palombe et si beau à regarder quand les derniers feux du soleil couchant éclairent ses deux "oreilles"...