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16 mai 2025

La "chasse tranquille" de Francis Sell (1902-1993)

Sur près de 20 millions de chasseurs en 2021, la « buck fever » avec 47% du marché (dont 65% à la carabine) écrase depuis plus d’un siècle la chasse américaine, et sa longue antériorité peut nous donner des pistes, notamment face aux nouveautés que sont, pour nous, les chasses approche-affût, timidement entrevues depuis 20 ans sous l’influence du « pirsch » venu de l’Est. Une vaste littérature couvre l’étendue du territoire, adapté à la diversité du terrain, et surtout des animaux : cerf de Virginie, cerf mulet, wapiti et autres caribous.

Tous les grands auteurs furent marqués par la philosophie d’Emerson et Thoreau, techniquement établie quelques décennies plus tard, par Aldo Leopold qui inscrit plus que chez nous la Chasse dans une démarche « Nature », même chez les chasseurs professionnels assurant la venaison pour les colons, mineurs, forestiers. A côté de la mythologie du « camp » générant le vaste mouvement « bushcraft » (1) autour de « Nessmuk » (G.W.Sears, 1821-1890) puis Horace Kephart (1862-1931), au tournant du siècle T.S. Van Dyke (1842-1923) avait théorisé en Californie la notion de « still hunting», ou chasse tranquille, reprise par George Mattis (1905-1982) à l’autre bout du pays et le Wisconsin dans « Whitetails fondamentals and fine points for the hunter ».

Cette chasse en solo, avec les carabines à levier en calibre 30-30 commençait à s’opposer au « gang hunting » en équipes de plusieurs chasseurs, bruyants et moins sélectifs, philosophie qui s’affina un peu plus à la génération suivante autour de deux grandes plumes qui se répondirent « coast to coast » : Larry Koller (1912-1967) étant le pendant sur la côte Est de Francis E.Sell (1902-1993) dans le jungle humide du Nord-Ouest de l’Oregon.

Ce dernier au début de sa carrière assurait la venaison des camps de bûcherons dans cet environnement hostile hanté par le « Columbia black tail », un cerf à queue noire plus petit que le cerf de Virginie, surtout difficilement accessible au tir long et posé. La notion de « bush rifle » existait déjà pour tirer lourd et de près, plus encore que le 30-30 avec par exemple le 35 Remington, ou pour le tout-venant ne disposant pas de carabines, le plus souvent au calibre 12 bourré aux « buckshots » (chevrotines), ou à la balle ronde et franche « pumpkin » (citrouille).

Francis Sell était tout à la fois un charpentier qualifié vivant seul au bout du monde dans sa cabane en rondins, pêcheur, photographe s’intéressant à tout dont les petits calibres comme le 20 en lisse et qui avait débuté en tuant 125 cerfs avec le 25-35 Winchester. Ce calibre (6,5x52 R) fut, avec le 30-30, conçu en 1895 comme le premier américain accédant d’entrée aux poudres sans fumée, avec seulement deux chargements d’usine : 117 grains en soft nose et FMJ. La vitesse était mesurée 569m/s à 100 mètres et encore 1230 joules, donc un peu au-dessus du minimum requis pour les cervidés en Amérique du Nord (1088 m/s) mais bien suffisante car comme le spécifiait Francis Sell « …à 40 mètres, la cartouche a peu d’importance ».

L’avantage de ce calibre résidait surtout dans les 50% de recul en moins que le 30-30, et il fut suffisamment populaire pour que Remington s’en inquiète et sorte précipitamment lui aussi son « 25 » depuis longtemps oublié…alors que le 25-35 WCF se fait étonnamment encore de nos jours avec les deux projectiles précités ! Il n’est pas trop impressionnant par exemple face au 243 Winchester, mais fait toujours mieux que le 357 Magnum ou le 44/40 qu’on trouve assez souvent dans les répliques à levier de sous-garde facilement accessibles de nos jours. Larry Koller, guide local dans les années trente autour d’Eden Falls dans les Catskills, à deux heures de Manhattan, dans « Shots at whitetails » définissait ainsi cette chasse : « …se déplacer doucement à travers bois et marais en regardant, s’arrêtant, et regardant encore avec soin et patience ».

Autre témoin de cette époque des débuts des optiques à faible puissance le Texan Vernon Megee (1900-1992), ancien général des Marines collaborant pendant sa retraite à différentes revues de la NRA fut un autre grand témoin de la période des « woods loafers », mot difficile à traduire autrement que par « pantouflards des bois » ou des adeptes des « trail guns » (fusils de piste) qui n’étaient pas vraiment les fusils légers ou « mountain rifles » super allégés à la mode actuellement. Francis Sell parlait plutôt de « fusils piétons » ou « ambulants » lui qui tâta un moment sur un modèle 31 modifié du 358 Winchester (extrapolation du 308 vite tombée en désuétude pour la battue) et du 30 Ackley Improved Magnum sur une carabine Husquvarna custom. Il s’agissait de fusils de précision à tir plat pour « enfiler les balles dans des petites ouvertures et des optiques basses pour voir ces trouées sous faible éclairage en sous-bois ». Voir cliché ci-dessous. La plupart du temps, ces vagabonds tiraient sans optiques, avec les « visées fer », des guidons carrés (Sourdough bead » de chez Redfield comme pour les armes de poing) ou des œilletons comme le « Cascade snapshooter » à la conception duquel participa également Francis Sell.

A la fin de sa carrière, il utilisait une Marlin personnalisée à recul réduit et participa avec Ackley et Chuck Donnely à la saga des tentatives de relancer ou booster le 25-35 WCF dont nous venons de parler. Dans sa kyrielle « d’améliorations » plus ou moins réussies P.O. Ackley « l’armurier de l’Amérique » n’avait pas fait la plus mince avancée en lui faisant gagner 181 m/s et 787 m/s au final. Le 25-35 Tomcat qui suivit, dans des armes à levier Winchester, Marlin et Savage, titillait les performances du « vieux Bob » (le 257 Roberts) des armes à verrou. Les recettes étaient toujours les mêmes :  plus de place (2,96 cc contre 2,31 cc) pour la poudre en remontant le cou avec plus d’angle, pour donner plus de vitesse, mais à des pressions grosso modo similaires. Technique qui se poursuivit (1988-2019) avec Fred Smith un armurier de l’Utah, pour le 25 Bullberry.

Ces carabines courtes légères et bien équilibrées n’étaient pas des fusils de traque, ni des armes alpines, le canon court devait mettre du poids à l’avant au coup d’épaule, et de ce côté, les magasins tubulaires remplis à ras bord des armes à levier répondaient bien à cet emploi, et pour les classiques à verrou, les versions « stützen » étaient appréciées sur des « customs » en toutes sortes de petits calibres. Larry Koller, plus tard rédacteur-en-chef de « Handloader » employait ainsi du 30-40 Krag, le premier calibre PSF pour l’US Army lequel étant également prisé chasse, tint un bon demi-siècle le record mondial du wapiti des Rocheuses. Plus près de nous Leonard Lee Rue (1926-2022) dans le Delaware, puis comme guide au Canada fut le dernier héraut de cette chasse solitaire, silencieuse et précise. Son « The world of the whitetail deer » (1961) a connu 11 éditions et 200 000 exemplaires. « Si vous jetez à l’épaule, disait Larry Koller, c’est comme si le réticule se trouve soudainement là où il doit être sans interruption de la continuité de la concentration sur cette zone vitale, et si vous ratez le premier coup, il n’y en aura pas de second…»

1/ Voir archives des 11 mars 2023, 15 mai 2021, 25 septembre 2023.

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