Auto 5 : un peu de recul...sur le recul !
On ne peut même pas dire que cette arme comble un fossé entre les fusils de chasse traditionnels et les « automatiques » que nous connaissons tous, c’est une bête à part où tout vous désarçonne : la forme générale assez laide, le poids soit disant « light » même s’il est bien réparti, la ligne de visée et les deux « os » régulièrement cités : le recul, et le « trigger sting » qui pique le doigt au tir. Sujets amplement commentés déjà ici (1), mais à reprendre un par un.
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Allons dans l’ordre : déjà la plaque de couche en corne ou en bakélite, et même les « pads » le plus souvent durs comme du bois, et qui n’ont plus aucun rapport avec ce qui se fait aujourd’hui. L’effet du « long recul » et des bagues qui doivent absolument être bien configurées charges légères ou lourdes dans le bon sens. Ce point était suffisamment important pour que Browning ait affiché un petit schéma dans le devant. Ce long recul de 9 pouces, soit environ la longueur d’une cartouche provoque le « clang » unique et retentissant d’une mécanique tout acier qui chante et n’est ni vicieux ni punitif. C’est un « double shuffle » ou poussée en deux temps de cycle de 0,10 seconde soit à peine perceptible à l’œil, réparti 1/3 et 2/3 sous l’effet de deux ressorts : celui, évident sautant à l’œil dès qu’on démonte la bête, qui entoure le tube-magasin, et l’autre, auquel on ne pense jamais, et qui demeure caché dans la poignée de crosse.
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Après il y a ce qu’on met dedans soit la charge « lourde » ou non à replacer dans le contexte de l’époque (…1900 !) et de l’emploi massif de cette arme au marais et donc tendance générale à être réglée « chaude ». La charge américaine standard quand l’Auto 5 était encore en gestation était 1 ¼ (36 grammes), 369 m/s et 8000-8500 psi, et en 1914 avait même un peu baissé (32 grammes) car on était passé à des poudres permettant, aux mêmes pressions, des vitesses plus élevées pour la même charge de tir. Le recul étant le résultat de l’énergie cinétique issue des composantes variables que sont la masse et la vitesse, on fit confiance à la machine pour encaisser vaille que vaille tous les progrès successifs des munitions avec les fameux réglages « heavy loads » et la lubrification (2) non pas avec de l’huile fine, mais de la bonne vieille W 30 qui servait pour les Ford modèle T contemporaines.
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Bon, le recul c’est aussi affaire de « ressenti » comme ainsi qu’on vient de le voir : surface et composition de la plaque de couche, forme de la crosse, longueur de canon qui, plus long et plus lourd, reviendra plus lentement, en faisant moins bobo, et de chokes malheureusement souvent très serrés. Mais il est vrai aussi qu’autrefois on jouait moins les chochottes en s’habituant à tirer avec tout : essayez donc, pour voir, un Baby Bretton au coup d’épaule et à l’improviste, derrière une bécasse ! Enfin, il y a le « coup de doigt » malheureux pour la précision des tireurs, mais aussi à l’index endolori, le fameux « trigger sting » dont ne trouve l’explication qu’à analyser les entrailles de la bête.
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Contrairement aux armes actuelles, la première moitié du retour de la course de la détente n’est pas actionnée par un petit ressort, mais mécaniquement par deux crochets opposés et donc un va et vient d’une grande vélocité qui, si vous restez l’index enfoncé, le revoie vivement vers le pontet. Le phénomène est bien sûr amplifié si vous êtes réglé « light » et que vous employez une « mini-magnum » qui fait fureur de nos jours. Il y a donc un coup à prendre qui est d’actionner prestement la queue de détente, rapidement et coup par coup sans laisser trop longtemps paresser l’index sur la fameuse (terme impropre) gâchette.
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Autre danger, celui de farfouiller dans la chambre culasse ouverte car il s’agit d’une énorme masse mobile qui n’a rien à voir avec la légèreté des systèmes inertiels actuels. Lors d’une ouverture naguère, surpris par l’irruption d’un autre chasseur et devant décharger dans l’urgence, ayant enrayé et en bricolant là-dedans, seul un retrait réflexe n’a pris, par bonheur, que le bout du doigt. J’ai chassé toute la journée avec une « poupée » sanglante à l’index, et tiré au majeur, apprenant aux urgences du soir, avoir échappé de peu à l’amputation de la dernière phalange l’os n’ayant heureusement pas été écrasé, mais, plusieurs décennies plus tard, la cicatrice est toujours là pour me rappeler qu’il ne faut pas trop farfouiller là-dedans, culasse ouverte…
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L’Auto 5 c’est une arme de légende, un pan d’Histoire, un engin tout sauf simple et pas fait pour être démonté même s’il passionnera tous ceux qui aiment la mécanique, les moteurs et les vieilles bécanes. Le fait d’avoir été conçu et fabriqué bien avant l’obsolescence programmée fait qu’il en reste encore pas mal d’unités mal utilisées et avec de mauvaises munitions, mais pas assez souvent pour en venir à bout. C’est ce qui fait qu’on en voit encore partout et dans tous les états. Le prix à payer pour profiter de ces vieilles choses attachantes c’est de les régler et nourrir avec ce qui se faisait à l’époque, de la même manière qu’on ne demanderait pas à une vieille Harley-Davidson « Knuckelhead » collector de faire 50 000 km par an à fond, avec une huile synthétique moderne à haute teneur en détergents !
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Le « humpback » n’est pas non plus forcément réservé à la vieille garde des chasseurs nostalgiques, et ce n’est même pas d’ailleurs une arme à feu, mais une « machine à tirer » de la même manière que la locomotive à vapeur d’autrefois n’était ni un autorail, ni un simple transport en commun servant encore à « tirer », mais cette fois, les wagons…
1/ Voir dans les deux années thématiques sur l’Auto 5 entre autres archives des 27 septembre 2020, 13 mai 2020, 4 avril 2021.
2/ Les premières séries étaient d’ailleurs livrées avec un petit récipient (voir ci-dessus) contenant une graisse de couleur claire à utiliser pour le tube chargeur.