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FCM 25.00
21 décembre 2017

L'organisation quasi "militaire" du repas de chasse

La période de Noël approche, celle des grands repas familiaux qui ne doivent pas nous faire oublier que décembre c’est aussi un des pleins mois de chasse dont les jours sont bas, les soirées longues, où la table après la chasse, peut bien sûr rétablir un juste équilibre. Le repas de chasse n’est en rien, bien sûr, celui, annuel,   qui conclut une saison faste, en présence  des autorités locales, du maire et du curé, et accessoirement bien utile pour garnir les caisses de la diane communale.

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Ce repas qui est celui de chasseurs fourbus qui se déroule dans les conditions précaires de la cabane de chasse (1) ne peut être vraiment gastronomique. La commodité veut qu’on y serve en premier des pâtés qui présentent outre l’attrait de manger le gibier qu’on a  abattu, de présenter une résistance plus solide car abordés par des appétits encore vierges et de gosiers ravagés –Dieu nous en préserve- par la terrible « pépie ». Les grillades ne nécessitant aucune préparation culinaire sophistiquée paraissent en second, avant que le fromage et les desserts (tartes et autres cakes bien roboratifs faciles à faire « sur le pouce » par les épouses et à transporter sur place) viennent en conclusion se pavaner aux yeux réjouis des chasseurs toujours friands de toutes les bonnes choses.

Les auteurs anciens disaient qu’à table « le rustique chasseur se transforme en homme du monde ». Prenons-en donc de la graine…De nos jours on se place ou on veut, pas de préséances, mais on doit encore tenir compte de la puissance invitante, du maître de céans cynégétique,  véritable ordonnateur de ces pompes dinatoires où on reste des heures à table en racontant ses mirifiques coups de fusil. L’amphitryon doit veiller en bon père de famille aux estomacs qui lui sont confiés « rassurer les timides, encourager les modestes, provoquer les plus vigoureux appétits ». La police de la table lui appartient, sa volonté demeure toute puissante, c’est un véritable roi dont le trône ne disparaîtra qu’avec la nappe et les verres ayant emballé cette faste journée.

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A lui de calculer savamment les places d’après les inimitiés reconnues (lesquelles on le sait sont nombreuses à la chasse), à veiller au respect des situations établies de longue date, ou au nombre de bouteilles de chaque espèce nécessaire à rythmer d’un train soutenu ces rustiques agapes. Point de temps mort en la matière, comme à la chasse,de l’action : « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la France est sauvée » disait Danton. Toujours, il doit veiller à ce que jamais un verre ne soit, ni vide, ni plein selon le fameux adage : « quand mon verre est plein, je le vide, et quand il est vide, je le plains » ! C’est à lui de maintenir coûte que coûte l’antique usage de trinquer qui doit être religieusement maintenu car c’est « la générale des bons camarades, et aucun poltron ne peut s’y soustraire ».

Il organise le faste des toasts dont il ouvre immanquablement la ronde, avant de passer aux dames (s’il y en a !), aux invités, aux absents habitués malades ou excusés, aux doyens chasseurs et vétérans caducs, qui ne chassent plus mais apprécient toujours ces assemblées riches d’une passion qui ne s’éteindra que quand la camarde sonnera l’hallali, et enfin aux (nombreux ?) adroits tireurs du jour. A chaque fois, chacun est tenu de vider rigoureusement son verre, et si un jeune permis a eu la chance de tuer son premier grand gibier, la cérémonie de « baptême » aidant,  une nouvelle libation générale est de rigueur, appuyée de hourras enthousiastes. Et s’il est quelque belle voix dans la compagnie, d’entonner tous en chœur, le début d’une chanson à boire. Toute chanson de table se doit d’être gaie, elle mérite, en question d’ordre, avant le dessert de prendre le pas sur toutes les autres, et entre deux chansons une tournée générale demeure de rigueur.  Elle peut même être un peu leste (2), et quand la composition de la société mérite mieux que cela, les dames et les enfants se retirent...

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Peu à peu la gaité règne, les bons mots se succèdent, les assiettes se remplissent comme par enchantement, les verres semblent s’empiler dans un défilé  de ces cépages les plus savoureux que nous promettent  les vignes du Seigneur. Elles sont  hantées, au ciel à la droite du Bon Dieu tout à côté du vieux Noé qui se consola du déluge près du jus de la treille,  par les plus grands saints du Paradis que tout chasseur sait  appeler à l’aide via de ferventes prières :  « à nous St-Estèphe, hardi St-Julien, debout St-Emilion » !

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Dans l’impossibilité d’avoir l’œil partout, le maître des lieux aura su placer avec discernement ceux d’entre ses amis sur l’adresse de qui il peut compter. Comme Napoléon, habile général-en-chef dans la mêlée qui s’annonce, il aura su choisir dignement ses aides de camp : d’un coup d’œil, d’un geste imperceptible pour ses convives au regard déjà embué par la joie dyonisiaque, il s’agit d’alimenter  grâce à ces braves lieutenants, en munitions, des « canons » qui ne sont certes déjà plus ceux avec lesquels on a fait  parler la poudre de bon matin ! Les vins ordinaires se placent en ordre de bataille, et profusion sur la table. Ce sont les fantassins du combat de carafons et de hanaps qui s’annonce.  Mais pour les vins fins, notre stratège en chef de ce choc œnologique aura soin d’en  verser  la quintessence à ses voisins en signalant à la cantonade et dans cet ordre martial :  le cru, le millésime et l’origine, puis de faire circuler…jusqu’à totale extinction de  la siccité ambiante. Ce sont les forces d’élite, les bataillons sacrés, les vieux grognards des repas qui s’achèvent comme bien souvent  le combat…faute de combattants !

Dans notre région de Bocage, le « patrimoine » local, comprenez la « goutte » ou le Calva, complique encore les choses. Il se déguste à l’arrivée des chasseurs pour agrémenter le  « miot » de café, dans une « petite sèche » qui avant la répartition des postes, le rond de sécurité, permet aussi d’adresser la bienvenue et d’effectuer la présentation des invités. Autrefois, le « coup du milieu » ou « trou normand » se servait entre chaque service ! Inutile de dire que ça contribuait à plus encore réchauffer l’ambiance.  Plus raisonnablement, de nos jours, il s’apprécie après le dessert avec le café qui, selon l’heure à laquelle se termine le repas, permet de repartir en chasse pour peu de temps, car la nuit tombe vite à fouiller quelques ronciers où se cache Jeannot lapin ou le rusé goupil. Ce qui permet de prendre l’air (vif en cette saison) et de se remettre quelque peu les idées en place avant de conclure une belle journée le plus souvent couronnée de succès cynégétiques valorisant l’aimable compagnie.

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Quand c’est possible, le soir venu, on fera un tableau de nouveau présidé par le maître des lieux avec répartition des pièces nobles d’abord aux invités et aux adroits tireurs. En règle générale, les petites pièces « annexes » là où c’est permis (bécasses, lapins, etc.) vont au tireur, mais l’invité (3) patientera, le temps qu’on lui  donne l’autorisation d’emporter son heureux coup du roi. Pareillement il attendra que la chasse soit officiellement terminée pour prendre congé en n’oubliant pas, après le dernier « coup de l’étrier »,  de saluer tout un chacun, de féliciter les uns et les autres pour l’organisation, et particulièrement la meute pour son activité car sans elle, chacun le sait, c’est buisson creux, retraite manquée, pour tout dire…la bredouille ! Dans notre région normande, de nos jours,  il saura éviter le funeste dernier « petit coup pour la route ». Autrefois on se préoccupait de ne pas vous laisser partir « sur trois pattes » et les prétextes ne manquaient pas pour d’interminables salamalecs avec la « consolante », la « miséricorde »,  l’ « ave maria » , voire le « de profundis » dans un temps, il est vrai, où il n’était pas besoin de tenir le volant pour rentrer chez soi ! Suffisait de se faire aider à monter dans la carriole, et la vieille jument qui connaissait la route vous ramenait sans peine chez la patronne, quitte à dormir ensuite une bonne semaine « à l’hôtel du c…retourné » !

Et la nuit sera bien tombée quand, dans la pénombre du petit refuge à peine  éclairé par le brasier mourant, le maître de maison, autour du visage rubicond de ses chasseurs « habitués » (comme on le disait autrefois des vieux curés autorisés à demeurer sur leur paroisse d’origine), fera  autour d’une dernière bouteille de mousseux, le point sur la journée et mettra en place l’organisation de la prochaine traque…Demain sera un autre jour…de chasse !

1/ Voir nos archives du 12 décembre 2013 et du 8 décembre 2016.

2/Voir à ce sujet notre archive du 18 novembre 2016, et au registre des chansons grivoises qui entremêlent la chasse, le vin, et tant d’autres choses que nous ne pouvons bien sûr par décence ajouter ici,  « en rentrant de la chasse » ou encore « le plaisir des dieux »…

3/ Participant à de nombreuses battues (une cinquantaine par saison au bas mot), on peut noter une dérive importante des règles de la bienséance où certains invités n’hésitent plus à prendre des libertés  avec le timing que ces chasses collectives imposent. On ne participe pas « à la carte » sur une invitation, arguant qu’on a d’autres rendez-vous, pire encore…de chasse ailleurs, sinon…on décline ! Inutile de dire que sur une chasse bien organisée, le malotru en cause, outre qu’il aura mis en porte-à-faux son invitant… n’y mettra plus jamais les pieds !

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