La polyvalence du 30-06 est-elle exagérée ?

Le mieux est-il l’ennemi du bien ? Comme la balle Nosler Partition à qui tout est comparé, le 30-06 n’est pas remis en question par les néophytes qui, du renard au sanglier (où aux USA de la marmotte au grizzly) en font la panacée. Mais le marketing du 6,5 Creedmoor fait actuellement la même chose que les trompettes de la renommée de 2013 pour le 30-06, et peut donner le tournis à celui qui, face à la prolifération du sanglier veut passer à l’arme rayée.

Il y a exactement dix ans, le fameux calibre « de guerre », celui du Springfield de Pershing dans les tranchées, ou du Garand de Mac Arthur à Iwo-Jima, fonçait tête la première dans la suprématie des calibres européens, et surtout en fait allemands (7X64, 8mm Mauser). On en parle moins, mais il fut libéralisé en même temps que le 308 Winchester, plus récent et moderne, calibre culte dans les états de l’Est, du Sud et du Midwest, et sa notion de polyvalence n’a rien à voir avec notre pays, avec les USA où elle s’opère « par le haut », c’est-à-dire la disponibilité immédiate de gammes lourdes pour le calibre s’alimentant bien dans les chargeurs fixes. Cette polyvalence pouvait s’expliquer par le besoin de balles plus lourdes que ce qui était offert par le 270 Winchester conçu pour 130 grains poussé éventuellement à 150, ou le 280 Remington face à des gibiers potentiellement dangereux qui n’existent pas en Europe.

Cette polyvalence revendiquée, et à laquelle contribuèrent amplement les « gunwriters » (1) au faîte de leur pouvoir, était cependant remise en cause par les chasseurs de bon sens. Au pays de l’Oncle Sam, tous ceux qui battent la campagne ont des collections d’armes aux capacités si étendues qu’ils n’ont pas besoin de cette notion obsolète de polyvalence, et le fait qu’on pourrait trouver en rayon au supermarché du coin, sa balle lourde oubliée au dernier moment a toujours été considéré comme un mythe…immédiatement appliqué en Europe en 2013 ! Dans notre pays, les gens qui n’y connaissent pas grand-chose à l’arme rayée ne le remettent pas en question, et y sont allés bille en tête en faisant confiance aux armuriers (de plus en plus rares), mais plutôt aux vendeurs des grands magasins « outdoor ».

Dans la filiation des « 30 » (300 Savage, 300 Winchester Magnum), aux distances classiques de la battue, le 308 Winchester fait aussi bien, et par rapport aux magnums il propose moins de poudre pour faire le job avec moins de recul, moins cher et plus facile à recharger. A l’intérieur de 250 mètres avec la Nosler Partition de 150 grains (gibier moyen) et 180 grains (gibier lourd), il est fantastique pour cervidés, suidés, les antilopes, l’ours noir et suffisant pour le wapiti en reculant beaucoup moins. Ce n’est que face au 300 Winchester Magnum, un autre « 30 » qu’il s’efface au-delà de cette distance mais au prix d’un coût considérable en termes de recul, de prix des munitions, et de durée de vie des canons. Oui, mais le poids de balle ? Aux USA, le 30-06 le plus utilisé est, dans l’ordre : 1, 150 grains ; 2, 165 grains ; 3, 180 grains…et seulement 0,5% le 200 grains ! Ah, voilà qui surprend non ? Mais il est difficile de lutter contre l’opinion subjective sur ce qu’on pense que tout le monde devrait posséder dans sa besace pour aller « in the wild », et que c’est la plus grosse cartouche moyenne qu’un individu normalement constitué puisse à peu près bien tirer sans se faire démonter l’épaule.

C’est aussi né du milieu des anciens conscrits bénéficiant de grandes quantités de munitions excédentaires après la guerre, qui eurent le même réflexe défensif face aux tireurs de la vieille école, fervents des leviers de sous-garde en 30-30 et 45-70 à leur égard, et qui les traitaient de « chochottes » quand il s’agissait d’empoigner les calibres « virils » d’autrefois. Les bons tireurs pensant « placement » disposaient déjà d’une foule de calibres rapides, parfaitement efficaces (257 Roberts, 22-250, etc.), mais le 30-06, au milieu de tout, proposait dès 1946, avec par exemple la 165 grains Nosler Partition, longtemps première cartouche « technique » grand public, la balle polyvalente offrant toute la marge de manœuvre nécessaire, même face au gibier dangereux. Par contre, si le chasseur « moyen », en fait la majorité comme chez nous des utilisateurs, sortait de sa zone de confort au tir, le 30-06 était dur à battre vu le choix de poids proposés que ce soit aux bords de la Highway 66, ou chez les Eskimos ! Mais on l’a vu plus haut, ce n’était qu’une vue de l’esprit, imaginant mal « Joe Average » (le chasseur moyen américain si on veut), découvrant, au volant de son pick-up, au dernier moment, au fin fond du Wyoming, qu’il avait oublié les 180 grains dans sa cartouchière !

Et pour nous bons petits Français de Trifouillis-les-Oies ? Du chevreuil aux bêtes de compagnie du Bocage, ou des cerfs et keilers du Grand Est, le 30-06 donne un peu plus d’allonge que les calibres européens classiques, et peut séduire même le bon tireur sous pression du fait de sa « pensée lourde » sous-jacente, mais le 308 Winchester va aussi loin (200-220 grains) et avec des poudres plus efficaces, des armes plus récentes, légères et innovantes. De la même manière qu’il y a dix ans on a surmédiatisé une cartouche vieille de 1906, il ne faut pas oublier que la vogue des 6,5 actuelles reprend encore des vieilles recettes : le 6,5 Swede date de 1891, et le 260 Remington de 1997. C’est dans les vieux pots, dit-on qu’on fait la meilleure soupe, mais il faut pour ça de jeunes carottes, et vous pouvez faire confiance aux sirènes du marketing pour nous les éplucher sans cesse, puis les mettre au menu…

1/Grancel Fitz (voir archive du 6 novembre 2020  ) et J.Y.Jones qui contribuèrent à la légende du 30-06 dans la quête des records Boone-Crockett. J.Y.Jones le tira de l’ours polaire au jaguar, en passant par le grand chelem sur les 6 races de caribous, les 3 de wapitis, les 4 d’élans, les mouflons, les pronghorns, chèvres de montagne, et même le morse ! Son livre « One man, one rifle, one land » est un standard et best-seller de la chasse américaine.