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30 mars 2014

Comment on chassait par chez nous...en 1555 ! Premier épisode, Gilles, sa chasse, ses armes

Dans la Manche on a de la chance. Voici cinq siècles, juste avant les guerres de religion, sous Henri II, fils de François premier, Gilles de Gouberville, lieutenant des eaux et forêts, seigneur du Mesnil au Val près de Valognes, ne se couchait jamais le soir, avant d'avoir écrit, sur son "livre de raison"(on dirait un espèce de memento de nos jours) tous les événements de la journée, ses achats, ses déplacements. Il avait deux passions, la greffe des pommiers, et surtout la chasse.

Et ce sont donc ses notes qui nous donnent une idée de la manière dont notre passion s'opérait à l'époque. Dans ce premier épisode (citations en italique, en vieux français, souvent savoureux) nous allons voir comment se passait la chasse en général. Dans un second on examinera les genres de chasse, et enfin l'utilisation des chiens et le gibier poursuivi...on verra qu'en 500 ans, les choses n'ont pas tant changé que ça !

Lieutenant des eaux et forêts, Gilles Picot, sieur de Gouberville surveille les coupes et adjudications de bois, arbitre les litiges ruraux deux ou trois fois par an lors des "grands jours", il a donc connaissance et nous parle de tout ce qui émaille la vie rurale de l'époque. Il n'y a pas encore "d'enclosures", c'est-à-dire de prés fermés : le bétail est marqué, mais vagabonde un peu partout dans les bois, et les "communs", terres vaines ou vagues appartenant aux paroisses et que leur disputent les petits seigneurs comme lui. Les terres des nobles sont "en déffens" (gardées ou réservées si on veut), et même si on n'est plus à l'époque médiévale des sires de Coucy qui envoyaient illico à la potence des jeunes s'exercant à l'arbalète, il fait pas bon être pris à braconner. Les ordonnances de 1560 viennent justement de se raidir contre les délits de chasse, et tout à côté de chez nous à Fougerolles, un moine de Savigny a perdu la vie victime des coups de trique de gardes trop zélés qui l'avaient pris  induement sur les terres d'un seigneur voisin. A cette époque il n'y a pas de frigos, le gibier, abondant sert de complément alimentaire, et pour Gilles, de monnaie d'échange, de troc, de cadeaux à faire aux voisins. 

Très intéressant, dans cette période de transition armurière importante, Gilles se sert abondamment de son arbalète avec laquelle on tire jusqu'aux cerfs sûrement plus nombreux et faciles à approcher que de nos jours : il trouve ainsi le cadavre d'un dix cors "...lequel estoit tué d'une arbaleste ju jour précédent", et on lui rapporte "...ung traict (un carreau ou une flèche) que les garçons avoient trouvé dedans ung cerf mort". Côté braconnage, son serviteur Thomas Drouet est pris au collet "...car il avoict esté vu aulx forests de Bricquebec, une arbaleste bendée, poursuyvant des bestes faulves". Sur le grand étang de Gatteville (près du fameux phare est qui existe encore), il tire avec succès sur "canarts et cercerelles" comprenez canards et sarcelles. Voir ci contre justement un chien au rapport pour un gentilhomme de cette époque. 

rapport

Mais il a aussi une arquebuse dont il bricole lui-même la crosse "j'abbattis ung pommier sec pour faire des affûts de hacquebutte", et fait sa poudre en mélangeant du bois léger de bourdaine dans un mortier avec du salpêtre. Cette fameuse hacquebutte sert à tirer les loups qui sont, comme on le verra dans un prochain épisode, un véritable fléau. Une louve emporte un agneau, ses serviteurs "la poursuyvent et lui firent lascher et laissèrent ledict agneau à la place. Assez tost apprès elle revinst chercher la proye. Symonnet (son domestique) la tua d'un coup de harquebutte". Pour les loups ils signale aussi des "boîtes" petits canons qu'on fait exploser à proximité d'un charnier. Ses autres moyens de chasse, hormis les chiens dont nous parlerons plus tard sont de nombreux grands filets "à la volée" qu'on tend dans des "étraques" (dont on a gardé de nos jours le nom traque) pour prendre lièvres, chevreuils. Des "yragnes" (voir toile d'araignée n'est-ce-pas) plus petits pour merles et "moyssons" qui sont sans doute nos cailles des blés ou perdrix grises. Comme en Gascogne il utilise aussi des "rets saillants" qui se détendent : "Symonnet et Nicolas Drouet (ses domestiques) furent à la Perruque (un lieudit) pour prendre des ramiers aux ret saillant". Il prend aussi des grives à la glu "en pillant du houx". 

glu

Complètant son arsenal il y a les pièges "Nicolas prinst ung renart à ung piège que une laye y tua". Il veut dire qu'il était pris par une patte quand une grosse laie finit de le tuer et le dévorer. Il a aussi plusieurs furets "dont on couppoyt les dents"...comme quoi la réputation de ce puant vient de loin et des oiseaux de proie "Symonnet fit voler et prinst troys perdrix" qu'il n'a pas à aller chercher bien loin "Symonnet alloyt au boys pour prendre des esperviers branchés". Des jeunes non encore volants certainement. 

Dans ses chasses, on l'a vu, Gilles, petit seigneur local se fait amplement aider de ses "gens", domestiques, mais aussi paysans qui lui sont redevables de corvées et cultivent ses terres. Ils sont notamment requis (on recommandait trois fois par an) à raison d'un homme par "feu" c'est-à-dire maison d'un hameau pour les grandes "huées" ou battues contre les loups. Les paroisses étaient convoquées plusieurs semaines à l'avance en chaire à la fin du sermon, et actionnées sous formes de "chaudrons" ou de battues marchantes. Une des plus importante en 1815 mobilisa un jour 9000 personnes, mais sans pouvoir battre le record mondial de 25 000 traqueurs et 3000 fusils postés lors de la traque de la Bête du Gévaudan dans les années 1764-1767...cette bête n'étant d'ailleurs absolument pas un loup, mais un hybride de loup captif et de chienne, protégé par une cuirasse en peau de sanglier et dressé à tuer. On fera peut être bientôt un post là dessus genre "la bête du Gévaudan et la chasse" si ça intéresse les habitués du blog qui ne manqueront pas de nous le faire savoir. 

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Commentaires
C
Excellent travail de fond !
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