La lubrification du 22 LR

Les arcanes de ce petit calibre si populaire relèvent plus de l’art que de la science, et presque parfois de la magie tant il faut tâtonner parfois longtemps dans le noir avant de tenter percevoir au loin, un rai de lumière. On ne peut pas recharger, restant esclaves de l’essai fastidieux d’une pléthore de munitions souvent sommairement référencées sous des noms mirobolants et des données techniques imprécises.

Vous l’aurez remarqué, toutes les balles modernes sont lubrifiées, ce qui devrait normalement nous interpeller quand justement, pour les percussions centrales c’est plutôt déconseillé. La lubrification ajoute du poids et du volume à la balle, l’huile n’est pas compressible tout cela augmentant  la pression, ou pouvant s’infiltrer sous la balle, abimer la poudre, provoquer ratés d’allumage, balle coincée dans le canon, sans même parler des saletés accumulées qui peuvent l’endommager. Le petit calibre, démarré à la poudre noire en a paradoxalement gardé ce besoin d’aide qu’avaient les anciennes balles à faible coefficient balistique de type Minié, à prendre les rayures, et ce n’est pas un hasard si les gens du tir à longue distance utilisent toujours des recettes de lubrification issues du monde des « muzzleloaders » ou adeptes du chargement par la bouche.

Parafinne, lanoline, vaseline, suif, distillats de pétrole, glycérine servent à toutes sortes « d’infusions » dont on peut tous constater le bienfondé si, après avoir par exemple tiré quelques balles « premium » intensément « grasses », on tire derrière du tout venant de munitions low cost. Par miracle, les groupements de ces balles bas de gamme, s’affinent tout à coup ! Alternative au plomb, les premières balles cuivrées ou laitonnées entraînaient déjà une lubrification meilleure mais sans passer par une « chemise », du fait de la galvanoplastie ou le courant électrique qui fait adhérer l’apport de métal nouveau à la balle. C’est pour améliorer ce « wash » ou « lavage » qui devait être uniforme pour ne pas affecter l’équilibre et la stabilisation gyroscopique et la précision que Western, le premier en 1927 ajouta une fine couche de cire sur l’alliage de cuivre plaqué Luballoy qui servait déjà pour la confection des plombs de chasse. Remington fit un peu la même chose avec le « Pocket Pruf » faisant passer pour une raison de marketing la balistique derrière l’aspect pratique des choses, la « réclame » vantant plutôt des munitions jetées en vrac dans les poches sans que s’y collent poussières et saletés. Par ailleurs l’aspect cuivré de ces balles (Yellow jacket, Golden Bullet) servait aussi de distinguo en matière de vitesse et de puissance améliorées, avant que la Stinger (1977) ne laisse tout le monde sur place.

La notion de « kleanbore » ou calibre propre si on veut, s’empara donc du marché de la lubrification offrant des possibilités infinies sur lesquelles les marques, à part Eley (base de cire d’abeille et de parafinne) communiquent assez peu, mais toutes les munitions se doivent d’y passer, les manufactures armurières spécifiant parfois même (1) l’usage « de balles graissées uniquement ». Assez vite cependant s’établit une hiérarchie entre les munitions européennes destinées à des armes à un coup de haute précision tirant à vitesse standard, et les américaines produites en masse et bon marché avec un contrôle qualité de moins haut niveau. Pour les munitions « premium » la lubrification est un point de passage important qui précède les contrôles systématiques par lots définissant la qualité « match » (2).

Le problème de l’usager avec le 22 LR, créature complexe au caractère capricieux, c’est le passage d’une marque à l’autre dans des canons qui, entre armes différentes, vont « aimer » plus ou moins telle ou telle munition. Ayant connu les deux, je peux vous garantir qu’on n’obtient déjà pas la même précision entre une Anschütz même entrée de gamme modèle 1316, et une bonne vieille franchouillarde Gaucher Colibri, pour laquelle il sera de toute façon inutile de gaspiller des balles qualité Match…Dans l’autre sens, vous pouvez avoir la meilleure plate-forme du monde, sans munitions cohérentes, les résultats ne pourront qu’être décevants : on imagine ce que peuvent donner 5 m/s de différence sur une munition qui « tombe » autant et si sensible au vent. C’est pourquoi une fois le difficile accord trouvé, il faudrait s’y tenir, et non pas papillonner sans cesse, au gré des soldes (on l’a tous fait n’est-ce-pas ?), et puiser dans un vaste pandémonium de munitions disparates.

Le cas des vieilles munitions « givrées » par l’oxyde de plomb, même plus bonnes pour le plinking, ce « tir informel à la cible non compétitif » (ou pour tout dire exploser des patates ou des canettes de bière !) peuvent être sauvées dans l’optique régulation par l’emploi de quelques vieilles combines issues du bench-rest comme la formule magique du Blue Wax (3), ou plus simple encore badigeonner à l’huile moteur les balles conditionnées tête en bas dans les petits casiers si pratiques généralisés dans le calibre. En ces temps où l’Ecologie est la mesure de tout, même à la chasse dans l’urgence, celui qui a la peau grasse pourrait même se tirer d’affaire avec le produit le plus naturel qui soit, en se passant l’ogive sur le nez : il faut sans doute aimer les armes comme on prise les cuisses de poulet, avec un peu de gras aux deux extrémités !

1/C’était le cas de Savage dès 1938 avec son modèle 6A.

2/Lapua, entreprise d’état finlandaise qui tient toute sa chaîne de fabrication de A à Z le contrôle de qualité de l’usine de Schonebeck en Allemagne se fait par lots testés classés Midas Plus, X Act, Polar et Biathlon ou SK (Magazine, Rifle Standard, Match), le rebut s’en allant au vrac alimentant les sous-marques.

3/Recette : 100 grammes de vaseline, 100 grammes de lanoline, 120 grammes de parafinne, 80 grammes de cire d’abeille.