Winchester 94 : rembobinons un peu !

Les armes à levier de sous-garde ont souvent été abordées ici (1), mais il est peut-être utile pour les lecteurs qui prennent le train en route, de résumer un peu les infos autour de la fameuse carabine et de son calibre « trente-trente » que tout le monde regardait un peu de travers car considéré comme un peu faiblard dans notre battue hexagonale. Des munitions « révolutionnaires » lui donnent une seconde jeunesse.

D’abord les points historico-techniques. Le néophyte peut à juste titre s’y perdre dans les versions 86, 92 et 94, issues du prolifique cerveau inventif de J.M.Browning. Les premiers modèles (1886 et 1892) avaient des verrous latéraux suffisants pour le calibre original (44-40 : 40 mm) nécessitant un « petit » boitier long seulement de 13cm, mais l’apparition en 1892 de la poudre sans fumée obligea à reconsidérer l’ensemble et à le renforcer pour les nouvelles munitions, d’abord en 32-40 et 38-55 ( en poudre noire traditionnelle), puis 30-30. Le premier chiffre donnant le calibre, le second le nombre de grains en poudre. Le boitier passa à 14 cm, la munition nouvelle faisant 65mm, mais surtout nécessitant, à la différence des verrous latéraux, un fort verrou arrière monobloc guidé par des glissières verticales de chaque côté du boitier. Du fait de la grande longueur de la nouvelle munition il fallut également revoir l’articulation du levier. Toute une partie du mécanisme (ce qu'on voit bien ici à g.) se mit à descendre en même temps que le verrou et le levier d’armement, ce qui permit d’augmenter la course de la culasse vers l’arrière, sans nuire à la solidité du boitier et ouvrir la porte plus tard à des calibres plus forts dit « big bore ».

Le modèle 94 fut un succès immédiat atteignant dès 1927 le million d’exemplaires, et en 1948 le président Eisenhower reçut le second millionième en cadeau. Ce fut l’arme civile la plus vendue au monde avec plus de sept millions d’exemplaires produits ! Ce qui est peu connu, dès 1914, l’armée française en acheta 15000 avec une hausse spéciale graduée en mètres. Est-ce un calibre de chasse ? La question ne s'est posée que dans notre beau pays, tant l’arme et le calibre 30-30 ont tout pris en Amérique du Nord, mais dans des conditions un peu différentes d’approche-affût sur les cervidés (cerfs de Virginie, cerfs mulets, wapitis) de différents gabarits qui offrent le fond de la chasse US. De très gros animaux dangereux, susceptibles de charger grizzlys, élans peuvent aussi être tirés de près, une quarantaine de munitions étant encore proposées, ce qui n’est pas si mal pour un vieux soldat de bientôt 125 ans ! Deux munitions classiques affichent même quasiment la couleur en 150 grains comme on peut le lire sur leurs jolies boites : Hornady « American whitetail », et Winchester « Deer  season XP » !

C’est par la traque que les leviers de sous garde se sont introduits peu à peu dans la battue française, du fait de leur maniabilité, liée à leur faible encombrement, de la sécurité avec le chien demi-armé, mais bien sûr dans des calibres plus puissants (444-450 Marlin) que le « vieux » 30-30. Néanmoins, grâce aux travaux de la firme Hornady, le possesseur d’une 94 pourra désormais sans rougir se placer même dans la ligne avec des balles (FTX), et une munition vraiment  « Leverevolution…aire »  ! On la voit ici à g. comparée avec une  30-30 conventionnelle.

Entre les chargements classiques de 150 et 180 grains, Hornady à choisi une balle de 160 grains, mais travaillée en plusieurs points. Tout d’abord un profil « spitzer » ou pointu, l’obstacle des extrémités auparavant « plates » (pour ne pas faire détoner les précédentes sous l’effet du recul dans le magasin tubulaire) étant levé par un avant souple en polymère. Voilà déjà donc de quoi améliorer la pénétration dans l’air, mais le coefficient balistique a aussi, par la même occasion, été revu à la hausse (0,330 contre 0,248 pour une Sierra classique en 170 grains) grâce à une balle « boat tail » à arrière effilée sertie plus haut par le collet. Tout ça poussé par des poudres Hogdon plus lentes et progressives en combustion spécialement concoctées pour la munition. La différence (à dr.) entre la balle FTX et la 30-30 conventionnelle est ici flagrante. 

A 200 mètres, cette 160 grains offre 32% d’énergie en plus qu’une 170 conventionnelle soit 655 m/s (contre 600) et 2231 joules (contre 1755). On titille donc tout ce dont pouvaient rêver autrefois les anciens utilisateurs du mythique 30-30, et nous sommes tout à fait là dans un vrai produit de chasse traditionnelle, qui n’a pas à rougir face à ses concurrents, même dans la ligne où, à 50 mètres il y a 2500 joules.

1/ Voir nos archives des 12 février 2018, 2 avril 215, 27 janvier 2019.