"Sandbar fight" le duel sanglant de 1827

Notre dernier envoi parlant des couteaux de camp a, par la force des choses, fait la part belle au « Bowie Knife » et son créateur. Ce fut le duel sanglant du 19 septembre 1827 (deux morts, 4 blessés) qui fit la popularité, puis le succès de cette forme de couteau évocateur du « Wild West » et de sa justice aléatoire, et donc souvent expéditive…

Il faut d’abord planter le décor du différent mêlant politique et rancoeurs personnelles entre deux clans qui s’étaient déjà écharpés, pour la succession, en 1823 du shérif Fristoe dans la ville de Natchez (Mississipi). Au terme d’une campagne amère et violente avait été élu à sa place Norris Wright, directeur de la banque locale, qui avait refusé un prêt à Jim Bowie. Né en 1796, ce dernier (ci-contre à dr.) était un colosse aventurier, marchand d’esclaves, spéculateur foncier, et les deux hommes en étaient déjà venus aux mains, Wright, bon tireur avait touché Bowie, mais ce dernier, même blessé, l’avait désarmé, et l’aurait tué à mains nues sans l’intervention de tiers.

Wright était un ami du Dr Thomas Maddox, bon médecin, mais incorrigible bavard qui avait colporté des ragots sur Samuel Levi Wells notable du clan d’en face, les deux hommes s’étaient aussi déjà tiré dessus, mais sans dégâts et on semblait aller vers un duel, puis un apaisement de la part de Wells, quand Robert Crain du clan Maddox envenima les choses : si le duel était refusé il promettait un combat de rue et tirer à vue, à la première occasion ! Ce Robert Crain était un peu le « bad boy » de l’équipe Maddox car il avait déjà tué, dans le passé un de ses locataires qui n’avait pas accepté la hausse de loyer, été mis en examen pour meurtre d’esclave, et devait une grosse comme d’argent à Samuel Cuney, du clan d’en face, venu lui réclamer à coups de fusil de chasse son dû, et ayant failli lui arracher le bras dans l’affaire !

Le duel « officiel » était donc inéluctable d’abord prévu à l’endroit le plus couru du patelin, l’embarcadère du ferry de la ville sur les rives du Mississipi, ce qu’empêcha le général Overton gouverneur de la place, qui avait des amis dans les deux partis, et craignant une émeute en un lieu aussi fréquenté. On opta donc pour un banc de sable isolé de la rive du fleuve, tout le monde sauf les deux duellistes et leurs soutiens, soit 6 personnes de chaque côté, devant rester à un demi-mille de l’action.

Le 19 septembre 1827 Samuel Wells se présenta donc avec comme « second » chargé d’observer le respect des règles Jim Bowie, puis : le major Georges Mc Worter, Jefferson Wells, le général Samuel Cuney et son frère Richard, lequel était chirurgien…pour panser les éventuelles plaies et bosses ! En face Maddox était assisté de Norris Wright comme second, Robert Crain et les frères Carey puis Alfred Blanchard (unis familialement aux Crain), et également en contentieux avec Samuel Wells. En effet, Alfred Blanchard, pris de boisson avait accidentellement blessé ce dernier dans le passé…Le Dr Denny, autre chirurgien, complétait cette fine équipe.

Avec des armes à un coup, on se tira donc dessus, deux fois, pour se rater ! Wells présenta ses excuses, Maddox les accepta, direction donc bras dessus bras dessous vers  le buffet et les rafraichissements quand Bowie, S.Cuney et J.Wells du parti Wells entrèrent un peu trop vite sur le pré. C’est le prétexte futile que prit Robert Crain pour entrer en scène un pistolet dans chaque main et dire à Cuney « …c’est peut-être le bon moment pour régler nos comptes ». Le chirurgien ne put retenir son frère qui, se précipitant sur Crain, fut immédiatement tué, et Bowie s’interposant son fameux couteau en main, pistolet dans l’autre, blessa Crain au bras, mais prit une balle dans la hanche. Se servant du second pistolet inutile car désormais déchargé comme une massue, Crain le lui cassa alors sur la tête ! Bowie qui avait toujours en main son grand couteau se retrouva à genoux, à moitié assommé, quand Blanchard à son tour, le toucha à la cuisse. Wright arrivé à la rescousse, se mit aussi à lui tirer dessus, manqua son coup, et crut pouvoir achever facilement Bowie avec sa canne-épée.

La fine lame se brisa sur le sternum du blessé, mais s’étant approché imprudemment Bowie l’agrippa par sa chemise pour l’amener à lui, et l’empaler sur l’immense lame. Alfred Blanchard, faisant la même erreur de s’approcher trop près de Bowie blessé, eut alors le bras à demi sectionné, par un moulinet du grand surin, et un des frères Blanchard, Carey qui s’enfuyait en courant, fut alors atteint par une balle tirée par Mc Worther. Thomas Maddox accouru chercher son fusil de chasse fut arrêté à temps par son adversaire Samuel Wells qui le ceintura et le conjura d’aller plus loin : « ne faites pas plus de dégâts, c’est fini ». L’affaire n’avait duré que quelques minutes, dix tout au plus, avec un mort de chaque côté (Samuel Cuney chez Wells, Wright chez Maddox) et 4 blessés : Bowie (Wells), Crain et les frères Blanchard (Maddox).

On crut que Bowie, gravement blessé n’allait pas survivre, mais il finit sa vie presque dix ans plus tard (1836) avec les héros d’Alamo sans qu’on sache vraiment si ce fut avec le légendaire couteau à la main. Voir ci-contre à g.. Wells mourut de fièvres quelques mois plus tard, mais Maddox atteint 90 ans, et témoigna officiellement en 1880 pour donner les péripéties officiellement reprises par l’historien G.P.Whittington en 1933 (d’où nous tirons toutes ces informations). Le couteau « Bowie » déjà porté depuis plusieurs décennies par les émigrants de l’Ouest prit alors ce nom quand on se rendit compte que la fameuse commande de Jim Bowie au forgeron Joseph Black datait de 1830 ou 1831, donc bien après ce duel sanglant. La question ne fut jamais « tranchée » c’est bien là le cas de le dire, de savoir si cette légendaire lame avait été utilisée à Alamo où, dans le pillage généralisé, elle ne risquait pas d’être retrouvée. Mais qu’importe, chaque utilisateur de ce style de couteau sait désormais de quel bois il se chauffe….