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FCM 25.00
20 septembre 2022

Les carabines des "deerstalkers"

Pour arpenter les « Moors » des Highlands et rester dans l’esprit de ces fabuleuses contrées que hantent les grands cerfs rouges, porter la casquette en tweed, le Barbour et l’écharpe en tartan ne suffiront pas. Il vous faudra aussi arborer une arme dans l’esprit des eighties très particulière, se situant, pour rester parfaitement « so british », entre les BSA ou Parker-Hale de début de gamme, et la Rigby Higland Stalker coûtant dix fois plus ! Et les dianes chasseresses trouver une de ces fines armes, pour envisager s’inspirer de l’élégance « smart » des grandes tireuses « long range » que furent Lady Breadalbane, Lady Fleming, et surtout la fantasque Patricia Strutt qui tua son 2000è « stag », juste avant de tirer sa révérence, à 88 ans !

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David Lloyd (1910-1996), vétéran des deux guerres dans la Royal Air Force, ingénieur métallurgiste, tireur émérite des compétitions de Bisley, lui-même « deer stalker » avec 5000 cerfs à son actif dans la région de Glen Cassley près de Sutherland, créa sa propre société armurière en 1936 à Pipewell Hall dans sa région natale du Northamptonshire. Il créa, dans la foulée, un concept très particulier d’arme de spécialistes, devant crapahuter par tous les temps, dans les brumes et les tourbières. A une époque où le montage des « scopes » était encore erratique, il privilégia un système (breveté en 1949) où la lunette, et non le contraire, prenait le pas sur l’arme. Celle -ci était au départ un Mauser 98 de surplus, bien sûr fortement customisé avec levier caractéristique en « patte de chien » (comme certaines armes Fraser et Holland-Holland d’avant-guerre), des jolis noyers du Périgord, une joue Monte-Carlo, un pad en caoutchouc alvéolé, et des canons de 28 pouces pour tirer les munitions pointues et rapides dont nous allons bientôt parler.

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Les optiques étaient choisies dans le haut de gamme (Zeiss, Svarowski, Hensholdt) mais avec des grossissements tout simples de X4 ou X6, ce qui peut sembler étonnants de nos jours, pour tirer à longue portée, mais surtout de diamètre 32 pour privilégier un montage très bas sur des portées en forme de manchons en acier massif, très solides. L’idée directrice était de former avec la carabine un ensemble très compact, ne pouvant pas se dérégler malgré des conditions d’approche drastiques dans ces contrées où il faut souvent marcher à croupetons dans les fougères ou se frotter à la plante emblématique de ces rudes contrées (aïe…le chardon !), ramper en haut des crêtes face à des animaux méfiants, car la vue et les effluves (de l’élixir local ?) portent loin. Rien ne devant accrocher, les tourelles de réglage étaient tout bonnement ôtées, remplacées par des capotages, l’arme étant livrée « zérotée » à la seule marque et au poids de balle exigés par le client. L’ensemble donnait une arme radicalement dépouillée, sans protubérances, particulièrement élégante, à la ligne racée, mais avec quelques inconvénients : les réglages étaient certes encore plus ou moins possibles en dérive par une vis Allen à l’arrière, mais ils nécessitaient plusieurs outils au terme d’un bricolage fastidieux, surtout sur le terrain, et on était tributaire des approvisionnements en une seule munition bien ciblée. Pas question donc d’improviser dans l’urgence au dernier moment et avec les moyens du bord dans le « fog »…

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Travaillant avec plusieurs sous-traitants (John Wilkes, T.Proctor), et surtout Vickers et  Holland-Holland (qui lui fournissait des culasses et des crosses Wiseman), il fit adopter en 1955 par la grande marque londonienne son calibre 244 Holland/Holland Magnum sur base 375 HH Magnum réduit à 6 mm avec une balle spéciale alu et pointe cuivre de 100 grains, 1060m/s et 3700 joules à la bouche. Ce, pour minimiser les tirs approximatifs sous forts angles de dénivelé, et vent de travers qui sévissent dans ces septentrionales latitudes. Proche du 240 Weatherby Magnum, chargée par Kynoch, elle était chère et déjà confidentielle, et bien sûr, les « rifles Lloyd » s’adaptèrent également à ce qui se faisait de mieux dans le même créneau à l’époque :  les anciens 25-06 Remington et 270 Winchester et plus récents 264 Winchester Magnum (1958), 7 Remington Magnum (1962), ces derniers calibres « chauds » ayant la funeste réputation de brûler les canons. Le 264 Winchester Magnum, au regard de ce qu’on voit de nos jours autour du 6,5 Creedmoor était en avance sur son temps, on le verra par ailleurs.  Comme le 7 Remington Magnum et le 244 HH, il était issu du 375 HH Mag, mais le 7 Rem Mag finit par l’éclipser car tirant des balles plus lourdes, et l’utilisation frénétique en varminting de petites balles 85 grains confirma sa réputation amplement abrasive. Dans un calibre plus « raisonnable » comme le 243 Winchester, produit à la même époque (1955), il se fit même bien sûr, une demi-douzaine de carabines sur action Sako, idée poursuivie ensuite dans le même esprit pour les optiques par les Arundel Sights de Craig Whitsey.

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A sa mort en 1996, l’entreprise perdura grâce à son épouse quelques temps, avant d’être reprise en 2003 par John Shirley un ancien directeur de Purdey, puis en 2006 par Ronald Wharton, ancien de Rigby déjà acquéreur de Lancaster et qui poursuit donc ce design particulier, classé par la grande revue « Shooting Times » en 8è position des 12 plus remarquables carabines de tous les temps. Pour preuve de l’opportunité du concept, Bill Ruger et Roy Weatherby en personne s’en firent fabriquer chacun un exemplaire, mais surtout ce fut la doyenne des « deer stalkers » britanniques Patricia Strutt (1911-2000) qui le remit sous les projecteurs en s’offrant une de ses carabines en 25-06 pour ses 80 ans ! Née Kebell, originaire de Nouvelle Zélande, son mariage en 1930 avec Arthur Strutt, baron de Belper, fils d’un magnat du coton dans le Derbyshire lui ouvrit toutes grandes les portes du domaine et de la forêt de Kingairloch, un des territoires (5600 hectares) les plus réputés pour les cervidés dans l‘Ouest de l’Ecosse où elle tua immédiatement son premier animal, à peine âgée de 19 ans. Elle n’était pas la première dame à pratiquer cet exercice difficile : Lady Breadalbane en avait déjà prélevé six dans la même année en 1897, et Mme Peter Fleming qui en avait déjà 600 à son tableau en 1968, et 930 à sa dernière traque à 84 ans en 1985, fut sa principale concurrente en ce domaine.

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Devenue veuve en 1977, suite à la disparition mystérieuse de son mari (dont le squelette ne fut retrouvé intact que 5 ans plus tard, le lendemain de sa messe anniversaire à 700 mètres de là, assis au pied d’un tronc de spruce, à flanc de falaise qu’il était sans doute venu estimer pour élagage) elle se retrouva à la tête d’une immense fortune dans l’agro-alimentaire et propriétaire de domaines immenses tant en Ecosse que dans le Cumberland et le Derbyshire où elle faisait chasser grouse, perdrix, faisans. Par contre, elle avait fait depuis longtemps du « deer stalking » une discipline mi science, mi religion. Skieuse et joueuse de tennis de niveau international, elle était dotée d’une condition physique exceptionnelle : on ne la voyait jamais ni manger ni boire, et elle étanchait sa soif au cœur de l’action, en léchant la sueur de ses avant-bras !

Elle faisait chaque matin le tour de sa chambre en rampant, pour s’habituer à la difficulté des parcours de chasse à venir, s’exerçant dans le parc à tirer sur des pièces d’un penny, et pouvait passer des heures à s’entraîner au mouvement de relâchement de la queue de détente, mais sans tirer à sec, car cela aurait gâché sa concentration ! Toujours suivie de deux gros chiens, vêtue de vieux paletots en tweed tenant avec des bouts de ficelle, à 75 ans elle était encore capable de tirer deux cerfs en 8 secondes à 210m de distance, après une approche épuisante qui avait laissé ses assistants sur les rotules.  Mince et légère, nantie d’une paire de jumelles antédiluviennes, elle était très méticuleuse et posée au tir, préparant une ligne de feu claire, au besoin en balayant la végétation devant elle avec sa longue canne. Chassant longtemps avec un 275 Rigby (7X57 Mauser) elle tirait plutôt au cou qu’au coffre, d’humeur enjouée avec ses ghillies qu’elle régalait, n’étant pas écossaise pour rien, avec le premier scotch qu’on trouvait dans les supermarchés d’Inverness…

Collectionnant religieusement ses cartouches réussies de premier coup, les autres ne comptant pas, elle prit son dernier trophée à l’automne 1999 peu de temps avant sa mort (27 juin 2000) au tournant du siècle à 88 ans, conduisant encore à tombeau ouvert, et regrettant juste d’être devenue sourde à cause des détonations, pour ne plus entendre la musique émouvante du brâme…Ses cendres furent dispersées là elle avait toujours voulu vivre, au pied des collines enneigées, où les landes aboutissent dans les vagues grises des brisants de la mer d’Irlande, juste en face du loch Linnhe.

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