Je vois des Auto 5 partout !

Clin d’œil à un lecteur qu’on remercie de ses encouragements, voici l'occasion de revenir sur cette arme qui fut le thème de l’année 2021 (1). Les décorations n’y avaient pas été abordées, et on va voir que l’Auto 5 fut le premier semi-auto à ne pas être seulement considéré comme un outil, mais comme une œuvre d’art.

Les premiers graveurs intervinrent à la FN en 1903, ceux qui suivent au premier rang de la classe, auront remarqué que c’est l’année de sortie de la première arme issue du brevet JMB de 1899 et des tribulations qui suivirent : les 44 brevets fournis à Winchester entre 1893 et 1902, la fâcherie quand JMB réclama plutôt des royalties, le temps perdu à négocier avec Remington pour finalement signer avec les Belges en mars 1902. La société Browning n’était pas obligée d’acheter à Liège (qui pouvait vendre partout sauf aux USA quand même), et négocia avec Remington d’où en 1905 le modèle 11, copie presque parfaite issue des brevets JMB, mais pas vraiment considérée par les amateurs, comme un "véritable" Auto 5.

La FN standardisa l’option gravure en 1909, année de la sortie de la version calibre 16 (2) qui bénéficia des six grades, les USA n’en connaissant que 4 quand, en 1923 prirent fin les accords Browning-Remington. Néanmoins la marque d’Ilion avait pas mal pris d’avance sur la FN avec 270 000 fusils vendus contre 87 000. C’est en 1926 que la FN confia à Félix Funken la charge de recruter 8 graveurs, débuts de la fameuse école où s’illustrèrent tant de noms célèbres : Maréchal, Corombelle père et fille, Mario Bodson, Angelo Bee, avant de passer le relais en 1960 à ses successeurs André Watrin et Vrancken.

La FN à ce moment était prise par d’importants contrats militaires, la production en série de l’Auto 5, et la genèse du B.25 dont le prototype prêt dès 1923, n’aboutit qu’en 1931 (série de 10 000), JMB étant mort à la tâche, à Liège cinq ans plus tôt. Le superposé ne décolla bien aux USA qu’en 1934 en ayant fortement diminué son prix de vente d’un tiers du fait de la Grande Dépression, bien qu’il nécessite bien plus de main d’œuvre que l’Auto 5. Dans les 13000 superposés de ce type vendus avant-guerre, la décoration jouait un grand rôle : un grade 1 pouvait demander 4 heures de travail à un graveur débutant, mais un grade IV le triple. Les maîtres-graveurs pouvaient aussi apporter leur « patte » aux finitions, et même signer des petites séries des grades III et IV qui s’arrachent de nos jours à prix d’or : « fighting cocks », « mother fox », où le mythique « smiling dog » ou « chien souriant »  voir ci-dessous à dr.

En 1940, la Belgique occupée (3) coupa le robinet, et Browning USA dut se retourner vers Remington pour faire les « American Browning », le temps que la production reprenne, marquée par les modèles marquants qu’on dit chez nous « allégés », le Lightweight 12 en 1946, puis le 16 en 1948, année où ils furent ensuite dûment estampillés « sweet sixteen », et « light twelve » sur le boitier. A noter qu’en 1946, Franchi était parvenu à sortir 1000 exemplaires d’une copie parfaite de l’Auto 5 en plus léger, mais l’éventualité d’un procès, l’obligea à revoir l'affaire, et ce fut l’AL 48, autre arme à succès, puisque toujours produite dans certains petits calibres. En 1958, sortirent le 20, le 12 Magnum et le super allégé, moment où en 1961, aux USA, Browning se diversifiait pêche et gamme outdoor.

En 1963 l’Auto 5 coûtait plus cher que le Remington 1100 « à gaz » qui allait bientôt le détrôner au hit-parade des best-sellers, mais c’est toujours un vrai classique qu’il ne faut pas louper, même de nos jours, s’il vous passe sous le nez à pas trop cher. Faut juste voir l’état, car il a souvent beaucoup vécu… normal pour un centenaire ! La production FN de l’Auto 5 atteignit 2 millions d’exemplaires en 1970 (vente jusqu’en 1974) et marqua le coup avec une édition limitée dont le clou fut le fusil offert au président Richard Nixon, par le sénateur Robert Bennett de l’Utah, état d’origine de la famille Browning. Le motif (voir ci-dessus à g.) était celui de l’édition 1930 sorti de l’atelier Funken et préparé par deux maîtres-graveurs du moment Baerten et Vandermissen. De manière inexplicable (4) …il refusa l’offre, et l’arme qui devait aller soit au Smithsonian ou au memorial J.M. Browning d’Ogden, repartit dans l’ombre chez Browning d’où il refit surface en 1985 pour être prêté à la National Shooting Sports Association. Le seul fait de le remettre ainsi en pleine lumière fit rebondir la cote pour être vendu deux fois aux enchères, la dernière en 2015 pour près de 55 000 $ !

L’inexorable déclin du fabuleux semi-auto connut de jolis ultimes feux qui passionnent encore tous les amateurs avec la série Gold classic (4000 armes en 1984), Centenary (cent en 1989), pour terminer en feu d’artifice en 1999 avec les 1000 armes de la série Final Tribute Limited Edition qui, depuis 1976 était fabriquée au Japon chez Miroku. Et dans cette esprit « éditions limitées » il faut aussi compter les « one of one thousand » ou « one of five thousand », sans même parler, aux USA et au Canada des « commémos » (5) : Duck Unlimited, Federal Ducks, ou Wild Turkey Federation !

1/ Voir archive du 1er avril 2017 pour éventuellement aborder le sujet, largement commenté via une quinzaine d’articles tout au long de l'année 2021. Ce n’est pas pour rien que cette arme trône en tête de gondole de ce blog…

2/ JMB abandonna l’idée d’un calibre 20 en 1920 quand il comprit qu’il ne pourrait pas faire plus léger que le 16, et il fallut attendre 32 ans après sa mort pour y parvenir ! Pour lui, la seule raison de tirer une cartouche plus légère impliquait un fusil plus léger, et ce fut un vrai casse-tête. Le boitier du 16 est réduit et le récepteur plus court que s’il avait seulement suivi les proportions du calibre 12. Si on compare le côté gauche on voit que la coupure de magasin est plus en avant et qu’un peu d’extension du canon dépasse.

3/ L’usine de Liège fut pillée par les Allemands qui, paradoxalement en firent le même usage que les Alliés aux débuts de l’aviation pour s'entraîner, via le skeet, au tir avec déflexion. Goering prit la part du lion là-dessus pour en offrir à ses « as » comme ci-contre à dr.  le général Galland (tirant sur sa pipe) et ses commandants d'escadrilles. De la luxueuse résidence du Reichmarshall dans le Nord de Berlin, prise à son tour par les Américains, surgit alors un Auto 5 parvenu aux mains du général Patton dont la succession après-guerre, enflamma aussitôt le milieu des collectionneurs !

4/ Paradoxe, un an plus tôt il avait accepté un Colt 1911 cadeau du chanteur Elvis Presley, il possédait un setter, et fut aussi le créateur de la journée nationale de la chasse et de la pêche.

5/ Voir archive du 13 février 2023