De ces armes qui nous parlent...

8 août 2020

De ces armes qui nous parlent...

Objets inanimés avez-vous donc une âme (1)…voilà une question quasi philosophique difficile à faire comprendre au non-chasseur parlant de nos compagnons d’aventures habituels, armes à feu ou même blanches. Bois ou acier sont bien sûr autre chose que la fibre ou l’alu et ce qui est fait à la main et sent encore la forge, sans même parler de ceux qui, historiquement ont un niveau plus élevé (2), sont certes une partie de nous-mêmes : sueur, sang et émotions mêlées.

Il est difficile de se séparer de quoi que ce soit une fois qu’on a chassé avec, et nous leur donnons une âme en les sortant et les utilisant accompagnés des histoires d’animaux éthiquement prélevés, de compagnons de chasse côtoyés et disparus, d’endroits fréquentés même épisodiquement mais, comme on dit, « marquants » du fait des souvenirs qui y sont attachés. On se souvient toujours de ce qu’on tenait en main lorsqu’on tira son premier chevreuil ou sanglier, l’envol stoppé net de la bécasse, la course arrêtée du premier capucin avec son tout jeune chien. Ceux qui n’ont jamais tiré et se reposent dans un coffre en sont exempts, et quand vous examinez votre râtelier, vous réfléchissez avec tendresse sur ce que vous avez fait avec ces instruments bizarres ou menaçants où certains ne verront que bouts de bois et de métal.

Il y a même une mystique de certaines armes que vous ne posséderez jamais vraiment tant elles semblent porter le poids des ombres, les fantômes de vos prédécesseurs. Quand parfois, à l’affût sous les futaies, le temps semble se ralentir, ils semblent même vous parler avec mansuétude quand par inadvertance vous avez manqué d’attention au passage des palombes, ou lors d’un coup heureux, sur une compagnie de perdrix, vous narguer d’avoir il y a bien longtemps, dans les mêmes conditions, eux, réussi le doublé. C’est plus difficile pour les jeunes générations face aux nouvelles législations, mais combien de fois, dans le passé nous sommes nous encombrés d’un « doublon » dont nous n’avions nul besoin, mais qui nous avait tapé dans l’œil. Ce fut le cas pour nous de cet oiseau noir, ci-dessous à g. un Jules Bury à éjecteurs automatiques qui, au « c..l » du camion, il y a bien longtemps lors d’un ball-trap, semblait nous chuchoter d’un ton plaintif à l’oreille « par pitié, emmène-moi avec toi » !

Cela n’avait guère de sens, ni d’utilité, étant déjà largement pourvu par ailleurs, ce n’était qu’un sombre assemblage de bois et de métal, si utilisé que sa crosse anglaise toute mince après tant de manipulations, avait perdu tout quadrillage dont on ne percevait même plus le filigrane. Mais il dégageait une sorte d’attitude et de personnalité propre que ressentit même l’armurier qui, tout initialement resserra par sécurité la bascule : « c’est un drôle de fusil que vous avez là, et on n’en voit plus beaucoup c’est du niveau d’avant-guerre». Les recherches facilitées par Internet grâce aux poinçons de Liège donnèrent son origine, fabriqué par Bury en 1968 pour les Ets Christophe à Bruxelles, avec un canon d’avant-guerre stocké, mais sans pouvoir identifier son premier possesseur dont le monogramme « J.G. » s’affichait fièrement dans un petit écusson doré, sur la longuesse. Tout le métal et le fonctionnement restait parfait, il s’en dégageait l’odeur particulière des vieilles huiles dont on ne sert plus guère dans les armureries discount. Il ne semblait attendre que la bonne personne pour continuer de vivre.

C’est toujours une arme qui vous interpelle à chaque fois, et qu’on l’empoigne à plaisir comme quand on serre la main d’un vieux copain. Léger et très choké, et secouant un peu si mal épaulé car la crosse est en noyer nu dont le veinage ténébreux et puissant le mérite assurément : « c’est un vrai démon noir, lourd du poids de tout ce qu’il a sûrement tué » disent ceux qui l’utilisent parfois au chevreuil, lors de prêts, ayant oublié que l’arme rayée est interdite dans certaines battues villageoises. Echangé contre une poignée de cerises il y a des lustres, nous ne sommes jamais vraiment possesseurs de telles armes dont nous sommes plutôt les conservateurs. Il s’agira de le transmettre bientôt gratos ou à prix symbolique comme on le fait pour les couteaux, à un jeune chasseur méritant…contre l’engagement moral qu’il ne coupera pas les canons pour en faire un coach-gun et qu’il agira de la même manière quand il atteindra notre âge bientôt, c’est bien ici le cas de le dire : canon…ique ! Certaines armes sont ainsi celles de plusieurs vies de chasseurs et semblent se charger presque magiquement de ce qu’elles ont vécu.