R.W. Service (1874-1958) : le barde du Yukon
Amoureux de notre pays où il a fini ses jours (1) Robert William Service devrait être plus connu en France, où, par bonheur ses enfants viennent en 2021 (2) de faire paraître une anthologie de ses œuvres innombrables : 10 romans et un bon millier de poèmes consacrés au Grand Nord canadien, mais aussi aux animaux et à la guerre. Pacifiste convaincu (son frère fut tué à Ypres), et trop vieux pour les tranchées, il se fit engager dans le corps des ambulanciers U.S. où il fut quatre fois décoré.
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Anglo-écossais, émigré à 22 ans au Canada il vécut à une époque où tout était possible dans ce vaste continent, vagabondant dans tout l’Ouest : travaillant dans les scieries de l’Oregon (1896-1903), vacher en Colombie Britannique, banquier en plein milieu de la ruée vers d’or du Klondike (3) dans la ville de Dawson city qui passa de 500 habitants à 30 000 en deux ans ! A partir de 1909 il se consacra pleinement à la littérature entamant un périple de 3200 km à pied, diligence ou canoë avant de retourner en Europe (1913) pour s’y marier avec une Française et découvrir la Côte d’Emeraude en Bretagne, écrire son premier roman (The Pretender, 1914), suivi de quatre autres jusqu’en 1927, puis deux livres de mémoires après-guerre (Ploughman of the moon, 1945 et Harper of heaven, 1948).
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Entre les deux guerres il voyagea encore beaucoup en Amérique du Nord, mais aussi en Russie (1938-39), côtoya la grande époque des écrivains cosmopolites de langue anglaise, ami de Joyce, Maugham, Lawrence, et surpris par la guerre dans sa villa de Lancieux (Côtes d’Armor) dut rejoindre la Grande-Bretagne puis les Etats-Unis où on le retrouva à Hollywood donnant la réplique à John Wayne et Marlène DietrIch. Après-guerre, âgé, il vécut entre Dinard et la Côte d’Azur, publiant encore l’année de sa mort (Song of the Far North) au terme d’une vie bien remplie d’aventures et de réflexions profondes sur le sens de l’existence : une montagne porte son nom en Colombie Britannique, et le Canada a même émis un timbre évoquant Sam Mc Gee, le personnage emblématique de son oeuvre.
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De celle-ci, la poésie l’emporte avec son style imagé, confraternel et humain, plein de compassion pour tous les êtres confrontés à une Nature souveraine, magnifique et cruelle notamment lors de la ruée vers d’or du Yukon « où les hommes ordinaires contribuaient au bon fonctionnement du monde ». Comme Sam Mc Gee, pauvre bougre du Tennessee, parti errer, transi autour du pôle qui, à l’article de la mort, demanda la crémation pour au moins… se réchauffer car « il y a des choses étranges faites sous le soleil de minuit par les hommes qui peinent à trouver de l’or, et les sentiers de l’Arctique ont leurs histoires secrètes qui vous glaceraient le sang ».
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Dans cet univers impitoyable vagabondent « des hommes sans nom qui parcourent des rivières inconnues, et dans d’étranges vallées accueillent seuls d’étranges morts » (à l’Homme du Grand Nord) comme celui qui fit un trou six pieds sous terre pour trouver de l’or, et en moins d’un an finit au même endroit « dans une ombre sinistre dans six pieds de fond de moisissure glacée » (Le Yukoner). Il s’agissait de « mineurs fraîchement débarqués des ruisseaux, sales comme des chiens, et chargé comme des ours, vêtus de chemises en peaux de daims vernies de terre » (La fusillade de Dan Mc Grew) pétrifiés par « L’Or ! Jamais on n’a vu une armée pareille, pitoyable, futile, inapte », débarquant à Stagway, balayée par le vent » au pied des lacs Bennett, Tagish, et Windy Arm « sinistre et sauvage, présageant haine et malheur » (la Piste de 98).
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Dans cette région dont on disait « que Dieu était fatigué quand il l’avait créée (…) ce n’est pas l’Or que l’on désire, mais plutôt le trouver, grande et vaste terre là-haut, forêts où règne le silence, beauté qui ravit, et calme qui remplit de paix » (L’appel du Yukon). Face à cette frénésie destructrice, il oppose la beauté du quotidien, la contemplation « le chant des oiseaux, l’extase de la rose, les cieux tachetés de nuages, le rire des sources limpides, les rayons de soleil noyés et le parfum d’avril, le blé de bronze scintillant, l’ombre violette des arbres » (Petite prière) qui offrent réconfort et gratitude au milieu du chaos.
Implicitement chasseur ce « compagnon des arbres, quand la Nature est notre ancrage » (Rolling stone), était critique sur la cruauté de certaines traques des oiseaux chanteurs (Allouette), et sur la moralité des battues « sportives » de l’époque victorienne où des « bouquets de plumages sanglants » du tir aux pigeons vivants (Monte-Carlo). Son amour des chiens nous touchera tous, du début à la fin quand on va au refuge chercher un compagnon « dont on pense que le cœur est brisé, mais dont l’œil faible s’ouvre » pour partager avec nous (chien abandonné) jusqu’au bout, une vie heureuse. « Nous les aimons mais c’est aussi bien pour nous tous que les chiens ne le sachent pas » (conversation canine), surtout quand il faut les quitter pour de bon. Nous avons tous connu ça, quand il faut se séparer, comme lui, du vieux Dick sur la piste enneigée où il ne peut plus tracter le traîneau, et ralentit l’ensemble : « un coup rapide et soudain, vois-tu. Voici ma main à lécher, un câlin avant de partir. Mon Dieu, ça me rend malade, vieux chien que j’aime tant. Pardonne-moi, pardonne-moi Dick. Un coup rapide et soudain…» (Mort dans l’ Arctique).
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« Si occupés à pêcher, chasser, vagabonder, si occupés à vivre qu’ils n’ont jamais le temps de mourir », les homme d’action voient cependant inexorablement arriver ce temps « où la vie est adoucie par une brume, les visions désagréables ne sont plus claires (…) la paix semble s’infiltrer dans nos pores, sachant que l’hiver est proche, et qu’il faut attendre décembre avec le sourire » (Eté indien). Avec lui (Chaque jour, une vie) on peut tous conclure avec l’émotion de la nostalgie de l’âge qui s’avance : « Oh si seulement toute vie n’était qu’un jour ensoleillé doux et sain. Et qu’au soir je puisse dire : je dors pour me réveiller ».
1/ Dans le petit village de Lancieux (22, voisin de chez l’auteur de ce site, (qui vit « de l’autre côté de la mer » dans le 35, comme on dit dans la région malouine, là où Colette écrivit « le blé en herbe », chanta Léo Ferré et où est enterrée la comédienne Tania Balachova), une rue porte son nom depuis 1947, et une école (2002).
2/ Voir le joli site de sa descendante (C.Longepe-Service) que l’on trouve facilement sur le Net.
3/ Entre 1896 et 1899, elle mit en marche plus de 100 000 pauvres hères dont à peine la moitié arriva à bon port, et 4000 seulement trouvèrent la fortune, l’hystérie collective, le scorbut, le territoire hostile, le froid intense faisant des ravages.